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la folie ordinaire : histoire de bancs n° 2

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Mes pas m’avaient conduit jusqu’à un petit square et j’avais pris place sur le premier banc venu. Jamais je ne m’étais senti aussi libre. J’avais du mal à croire que quelques heures plus tôt nous avions cambriolé l’appartement d’un honnête homme qui devait à l’heure actuelle être dans un état violent. Je perçus bientôt un mouvement à quelque distance : un homme agitait le bras comme s’il voulait chasser quelque chose d’opportun. Il venait vers moi et je compris que c’était à moi qu’il en avait, tant ses gestes devenaient clairs au fur et à mesure qu’il s’approchait. Finalement il s’arrêta devant moi. "C’est mon banc", dit-il dans un grondement. Cela était exprimé avec un tel naturel, une telle conviction, comme s’il énonçait une vérité que rien ne saurait contredire, un droit reconnu par la loi, que je faillis me lever. Mais l’affaire m’intéressait et je n’en fis rien. Nous pouvions partager ce banc et même échanger quelques paroles s’il le souhaitait. La solitude pouvait s’avérer dangereuse si l’on n’y prenait garde. "Je ne partage mon banc avec personne ! Allez-vous et laissez-moi tranquille avec vos bonnes paroles. Ils n’ont que ces mots à la bouche, partageons ! Est-ce trop demander d’avoir un banc pour seule demeure, sans qu’on vienne vous le chiper à votre nez et à votre barbe ? Eh bien si vous restez là, tenez votre langue, vous m’entendez ?" Sur ces mots il s’assit, laissant entre nous le plus d’espace possible. Je compris alors que moi qui venais de savourer une tranquillité absolue à l’abri de mes semblables, je franchissais par ma présence obstinée à ses côtés la limite que je refusais à autrui. Je le saluai d’un geste et partis.

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