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La Traversée des apparences : Les exclus

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15 octobre Cela fait maintenant des jours que je suis là. C’est peut-être l’autre que l’on voit. Personne ne croise mon regard, je suis seul avec cet autre qui n’est pas moi. Cela fait longtemps que je n’entends plus les rames qui glissent silencieusement devant moi. L’univers dans lequel j’habite est clos et confortable. Aucune menace ne pèse sur moi. Quand il ne fait pas froid je dors sur un banc dehors. Une seule fois on m’a demandé mes papiers, j’ai répondu que je n’en n’avais pas, ce qui était vrai, qu’on me les avait volés. Alors on m’a laissé tranquille parce que je ressemble à tant d’autres pareils à moi. Nous n’existons pas. Il y a quelque chose de si tranquille dans cette absence d’existence que je ne désire pas l’interrompre. De temps en temps une âme charitable dépose quelques pièces sur un morceau de carton que je garde près de moi. L’autre dit merci, sourit vaguement. Je n’ai pas besoin de grand-chose. 30 octobre Maintenant je passe des journées entières dehors. Je marche au hasard des rues, je m’installe dans un square, je regarde les gens. Je ne leur fais pas peur, car je fais encore illusion : je ne suis d’ailleurs qu’une illusion. De temps en temps, je dors à l’armée du salut. Je suis devenu transparent à mes yeux et à ceux des autres. C’est peut-être parce que mon être intérieur a disparu que l’on ne me voit pas. L’autre sourit, incline poliment la tête. Cela m’est égal de ne pas vivre vraiment. Je ne demande rien, je ne veux rien. 10 novembre Hier une femme s’est assise près de moi. Une femme sans âge, toute menue. Elle s’est posée là comme un oiseau furtif, les mains sur les genoux, toute droite. Au bout d’un moment, elle a sorti quelque chose de son sac et elle l’a porté à son oreille, comme on fait pour une montre pour s’assurer qu’elle marche. Et puis elle a secoué la tête d’un air mécontent et a remis l’objet dans son sac qu’elle a refermé soigneusement. Elle a continué à regarder furtivement autour d’elle et j’ai pensé qu’elle attendait quelqu’un. Et puis elle a recommencé son manège, ouvert son sac, pris l’objet, l’a porté à son oreille et l’a rangé à nouveau avec le même air mécontent. Elle a fait ça quatre ou cinq fois et j’essayais de voir ce qu’elle avait dans la main, car on n’écoute pas sa montre aussi souvent. Et puis finalement elle a laissé retomber sa main comme si elle avait oublié ce qu’elle attendait, et j’ai vu que sa main était vide. 11 novembre Aujourd'hui il y a eu des défilés, des drapeaux, des tambours. Quelle animation! Comme c'était gai! J'étais aux premières loges...Parfois j'ai envie de vivre ma vie d'avant ou celle de demain, plutôt que ces heures où rien ne bouge. Mais peut-être que l'épouvantail en moi ne le supporterait pas. Il faut que je l'aide à se tenir debout.. Maintenant il est l'heure pour moi de dormir.

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