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Le Solitaire
(on ne sait s'il est assis ou debout)
"Quelque part s'étendent des lacs, je vois leur miroitement. Dans les allées de la solitude tranquille, les feuilles chuchotent. Des tableaux, des poèmes, que j'ai vus et lus, revivent dans l'instant. Dans le silence, je joue au grand seigneur. Savoir si, daventure, j'aimerais être parmi ces gens? Pourquoi pas? Mais je trouve que la fréquentation des hommes vous empêchent de penser. Les distractions sont importunes. Le charme de la parole se perd aisément dans la parlotte. Certes, j'ai bien envie de parler à quelqu'un. Comme on est ingrat! C'est seulement quand on désire quelque chose qu'on voudrait dire merci. Ce qu'on a, on le méprise. Splendide est la liberté intellectuelle du solitaire, ses pensées créent instantanément des formes et des personnages; pour qui pense, il n'y a pas de distance. Les frontières morales, c'est lui qui les trace, et il parle pour les vivants et les morts; Ceux qui me manquent, je leur manque aussi; ils ont appris que j'avais de l'entrain. Je n'ai peur ni du vacarme ni du silence. Seules les craintes sont à craindre. Au lieu d'aller vingt fois au concert, j'y vais une fois, et ce que j'ai entendu retentit alors puissamment pour moi à travers les vastes salles du souvenir..J'apprécie plus la vie imaginaire que la vie réelle. Qui songerait à m'en blâmer? Jeune, déjà je rêvais volontiers; j'ai grandi, et en même temps, je suis devenu plus petit. L'existence monte et descend comme une ligne de collines, et demeure significative....Si je voulais pleurer, comme cela ferait mauvais effet en société! Ici, je le peux à ma guise. Il a fallu que je vienne ici pour apprendre comme les larmes sont belles, comme il est beau de se dissoudre en sentiment...Qui dit être aussi faible que le solitaire, et à qui le courage donne-t-il autant de force? L'irritation provient toujours de l'obligation de dissimuler, qui pour moi n'a plus lieu d'être. Laissez-moi donc ainsi!Certes, je prive de mon savoir, de ma gaieté innée...les gens ligotés de mille manières par leur activité...Il faut aussi qu'il y ait quelqu'un qui soit négligent et qui croit joyeusement que cela ne fait pas de mal. Il est tout entouré du murmure de rajeunissements qui n'en finissent pas. Il entend le fleuve originel à travers les heures de silence...Il ne fuit pas les hommes.Comme j'aimerais me voir sympathique, comme je souhaiterais être intégré à leur cercle. Pourtant, je pense avoir fait ce que je pouvais pour ne pas me gaspiller. Je suis resté disponible."
On voit ici un exemple très clair des contradictions de R.Walzer. On y trouve toujours ces deux ingrédients antinomique : errance mélancolique soi-disant acceptée, regret sous-jacent. D'après mes souvenirs, ceci est un thème récurrent dans "Les Enfants Tanner" (dont je ne saurais trop recommander la lecture), dans lequel le héros solitaire vagabonde ou revient vers les siens, frères et sur plus solides.
J'y trouve aussi une similitude avec "La Faim", de Knut Hamsun, la faim apparaissant comme un symbole du rejet de la société, mais peut-être aussi du rejet inconscient du héros de cette société.