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Ionesco : le solitaire (suite)

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J'ai déjà mentionné Le Solitaire de Robert Walser (La Rose), mais je n'ai pas donné mon avis personnel sur cet "état" qu'est la solitude, sur cette difficulté à vivre parfois intense, voire intolérable, un état cependant recherché par certains comme un bien "salutaire", comme la Solitude de Purcell "my sweetest love.." Il m'est arrivé de vivre des moments de solitude tels que d'aller chez le boulanger pour prononcer cinq mots : "une baguette s'il vous plaît", me procurait un soulagement intense. En revanche, me jeter dans la rue par un froid glacial pour aller jusqu'au Jardin des Plantes me demandait un effort surhumain, et si je me sentais mieux au retour, c'était par contraste, et je me jurais de ne plus recommencer. Cette solitude, j'ai appris à la meubler, ainsi je ne me sens plus seule. Ce n'est pas le cas de milliers de gens (je pense particulièrement aux personnes âgées,pour lesquelles les journées sont si longues, et qu'on "ne peut pas prendre chez soi", à une époque où la vie communautaire n'a pus grand sens). C'est le cas du"Solitaire" de Ionesco. son seul roman, considéré comme un roman de l'absurde. "Mieux vaut avoir une santé psychologique de fer avant d'entamer ce roman de Ionesco, écrit à la première personne du singulier. "L'homme qui nous livre son histoire est âgé de trente-cinq ans. Sa vie, jusqu'alors cadencée par un quotidien latent (sorte de "métro-boulot-dodo"), est bouleversée par un héritage inattendu (décès d'un vieil oncle américain sans progéniture). Du jour au lendemain, ce trentenaire, blasé par la monotonie de son existence, se retrouve à l'abri financièrement. Plus besoin de travailler, plus besoin de compter. "Commence alors une sorte de voyage introspectif ; celui d'un homme qui profitera dans un premier temps des avantages que procure ce nouveau statut de riche, puis, qui plongera de façon pernicieuse dans une conscientisation de l'absurdité de la vie. Une chose est sûre. A la réponse « l'argent fait-il le bonheur ? », la réponse est non. Evidemment, ce constat correspond à un premier niveau de lecture. D'autres réflexions et enjeux se bousculent en sourdine… et construisent la pensée de ce narrateur qui tente de percer les mystères existentiels. A quoi sert la Vie et quel sens lui donner? Qu'est-ce que l'Individu face au monde qui continue d'avancer, de grouiller, de s'agiter? "Le Solitaire est un homme double qui discute et controverse énormément avec lui-même, et que chaque page semble représenter un débat éperdu entre les différentes opinions qui se querellent en lui. le rêve du Solitaire vire bientôt au cauchemar. Exclus du monde, les hommes « actifs » qui continuent de le peupler, et qu'il observe depuis la place qu'il s'est réservée au restaurant du quartier, lui deviennent complètement étrangers. Il les observe comme des êtres inconnus, tantôt frappé par l'absurdité de leurs préoccupations, tantôt envieux de ce qu'il imagine être leurs réussites –tandis que lui ne subit que des échecs. [« Comme il est difficile de pénétrer l'âme des autres ! Pourtant, cette fois, j'aurais voulu être plus près d'eux. Que se passerait-il si j'étais plus près d'eux, avec eux ? Comme ce serait intéressant ! Je vivrais. Ils étaient séparés de moi comme par une vitre épaisse, incassable. »] "A partir de la moitié du roman, Eugène Ionesco introduit du délire psychotique chez son personnage. Est-ce la solitude ? Est-ce l'enfermement ? Le solitaire imagine des guerres civiles qui éclatent dans la zone restreinte de son quartier. Lorsqu'il descend dans son troquet habituel, tout le monde parle révolution. Les êtres humains s'unissent ou s'opposent en clans distincts. La lutte prend une allure allégorique : elle est la représentation de l'alliance contre l'absurdité, et il n'est pas anodin que Le solitaire refuse de livrer bataille. "C'est une fois que tout est passé que Le solitaire se rend compte que l'existence n'était peut-être pas aussi désagréable qu'elle lui avait paru jusqu'alors. D'ailleurs, lui avait-elle vraiment semblé insupportable de bout en bout ? [« Mais oui, mais oui, le monde ensoleillé nous l'avons en nous-mêmes, la joie pourrait éclater à tout instant continuellement, si on savait, je veux dire si on savait à temps. Qu'elle est belle la laideur, qu'elle est joyeuse la tristesse, comme l'ennui n'est dû qu'à notre ignorance ! »] " Ionesco parvient à nous donner le vertige dans cet ouvrage magnifique, quasi philosophique. Comment ne pas être sensible au sort de ce personnage Solitaire, marginalisé, vulnérable et arraché à la réalité ? ["Je regardais un objet se trouvant devant moi, un mètre soixante-dix de haut, un mètre vingt de large, avec deux battants de porte que l’on pouvait ouvrir. A l’intérieur, il y avait des planches où des vêtements, les miens, étaient accrochés, et du linge, le mien, rangé sur des planches. Evidemment, si on m’avait demandé ce qu’était cet objet, j’aurais répondu que c’était une armoire. Mais cela n’était plus une armoire, je ne pouvais croire sincèrement que ce fût une armoire, ce n’était pourtant pas autre chose. A tout le monde, j’aurais pu répondre que c’était une armoire. Pourtant les mots mentaient. Non seulement les objets n’étaient plus les mêmes objets, mais les mots n’étaient plus les mêmes mots. Les mots me paraissaient faux. Les objets avaient perdu, me semblait-il, leur fonction. J’en faisais quelque chose de ces objets, mais il me semblait que ces objets n’étaient pas destinés à ce que j’en faisais, et même qu’ils étaient hors de tout emploi."] La première fois que j'ai lu ce livre, j'ai été éblouie. A la deuxième lecture un peu moins. L'analyse ci-dessus me laisse à penser que j'ai d'abord cru à un véritable héros, et ensuite que son côté médiocre ne pouvait que me décevoir. Je le lirai donc une 3° fois, c'est une gageure!

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